LES REVENANTS DE LA "DREAM TEAM" (Le Monde) OU LE RETOUR DES ELEPHANTS JOSPINIENS CONTRE ROYAL L'USURPATRICE
[Décidément, la génération Jospin n'en démord pas. A ses yeux, elle n'a aucune responsabilité dans la déroute historique de la gauche le 21 avril 2002. Elle n'avait pas perdu les classes populaires, vivier historique de toute gauche authentique. Elle n'avait pas minimisé le problème, pourtant commun à toutes les sociétés de consommation, de l'insécurité. Elle n'avait pas oublié de voir que la pratique du politique devait être radicalement renouvelée: à savoir que le développement d'une société civile très active ne devait plus être ignoré par les partis politiques.
Le camouflet de la désignation démocratique de Ségolène Royal comme candidate socialiste à l'élection présidentielle de 2007 s'est transformé en traumatisme refondateur. C'est sur cette pierre angulaire qu'ils se retrouvent finalement : contre l'ex-candidate, au détriment du renouvellement des idées et du parti socialiste.
Leurs agitations et l'angoisse que suscite chez eux la moindre initiative de la présidente de Poitou-Charentes en témoignent amplement: ils ne veulent pas reconstruire mais détruire pour mieux revenir.]
Le Monde, 23 mai 2008
Ils étaient les figures emblématiques de la "dream team", cette marque de fabrique du gouvernement de Lionel Jospin en 1997. Lieutenants du pilote de Matignon, Martine Aubry et Dominique Strauss-Kahn, rivaux mais complémentaires, ont mis en musique, avec succès, ses réformes. Ils ont aujourd'hui, en commun, d'avoir mal vécu l'élection présidentielle de 2007, d'avoir vu dans la candidature de Ségolène Royal un accident de parcours dont il faudrait vacciner le Parti socialiste pour le préserver d'une récidive. D'une rechute.
Les revenants de la "dream team" ont repris le sentier de la guerre pour empêcher, à tout prix, l'usurpatrice de s'emparer du PS et de s'imposer en candidate naturelle pour 2012.
Lionel Jospin a consacré un livre - L'Impasse (Flammarion, 2007) - à l'exécution politique de l'ex-candidate. L'ancien premier ministre, qui s'était retiré de la vie politique après sa défaite du 21 avril 2002 - devenue l'angle mort de tout débat dans les cercles jospinistes -, a repris du service comme entraîneur de Bertrand Delanoë dans sa conquête du PS. Qui, là aussi, préfigure sa candidature à l'Elysée. En 1981, M. Jospin, alors premier secrétaire du PS, avait fait de M. Delanoë son porte-parole et numéro trois, puis l'avait chargé, de 1983 à 1985, des fédérations. Des postes stratégiques.
Bertrand Delanoë et Lionel Jospin, Premier Ministre, en 2001
En 1995, M. Jospin, revenu à la tête du PS, n'avait pas repris son ami "Bertrand" dans son état-major. Il n'en avait pas davantage fait un ministre en 1997. Et pour les municipales de 2001 à Paris, il avait d'abord encouragé la candidature de Dominique Strauss-Kahn, avant que la mise en cause de son ministre de l'économie dans l'affaire de la MNEF - qui se soldera par un non-lieu - le sorte, fin 1999, de Bercy et du jeu parisien.
Aujourd'hui, M. Jospin est le premier soutien de M. Delanoë. Il le coache, relit des textes, participe assidûment à ses réunions. Le maire de Paris lui a dédié son livre - De l'audace ! (Robert Laffont, 300 p., 20 euros) - où il le dépeint comme "un modèle de rectitude". Quitte à risquer d'être plombé par l'ombre permanente de son mentor. Au PS, elle renvoie au passé, pas celui de sa bonne gouvernance de 1997 à 2002, mais celui du parti d'Epinay, de sa défaite et de son abandon d'il y a six ans.
Battu honorablement à la primaire du PS en 2006, Dominique Strauss-Kahn a pris du champ. Nommé, le 28 septembre 2007, directeur général du Fonds monétaire international, il s'est engagé pour "au moins un mandat de cinq ans", donc au-delà de la présidentielle de 2012. "DSK" a ainsi rendu son courant orphelin, sans chef de substitution, flottant aux vents pluriels de la social-démocratie. Comme les fabiusiens, les strauss-kahniens sont sans présidentiable. Ils sont donc voués à une stratégie d'empêchement - de Ségolène Royal et de Bertrand Delanoë - qui les conduit à des postures sur le respect des règles du congrès du PS, le culte des ego, l'interdit pour un présidentiable d'être le patron du parti, qu'ils auraient jouées exactement à l'envers s'ils avaient eu leur champion !
Dominique Strauss-Kahn et Ségolène Royal, le 27avril ; (c) Reuters
Patatras ! Le 17 mai, M. Strauss-Kahn a harangué ses amis à Paris. Là, les versions du sermon de la montagne diffèrent. Selon les uns, il s'est dit "déterminé" pour 2012, pour d'autres juste "intéressé". La nuance n'est pas neutre pour la troisième figure de la "dream team", Martine Aubry. Sa brillante réélection à Lille l'a remise dans le jeu national. En 1995, elle avait décliné la direction du courant rocardien. Elle n'avait pas davantage fait entrer son club Agir au PS - à l'opposé de Mme Royal avec Désirs d'avenir - et y a donc peu de troupes. Aujourd'hui, Mme Aubry est décidée à barrer la route à l'ex-candidate mais pas pour servir de marchepied à "DSK" ou au maire de Paris. Si elle roule pour quelqu'un, ce sera d'abord pour elle. Mais pendant ce temps, la "cible" court."
Martine Aubry et Ségolène Royal ; Crédits photo : Archambault/Le Figaro
Michel Noblecourt